POÉTIQUE DU DRAME

 

Victor Hugo, Le Drame de la parole

(Presses Universitaires de France, 2008)

Regrouper les deux pièces de Hugo les plus lues et les plus étudiées, et donc les plus célèbres, va de soi. Il est vrai également que d’autres affinités justifient le choix de lire, d’étudier et de confronter Hernani et Ruy Blas. Les deux pièces forment d’abord et avant tout pour Hugo un cycle dans sa carrière de dramaturge. Hernani est la première pièce assumée, jouée et même « montée » par Hugo : il en a fait l’arme d’un bras de fer engagé avec la société du spectacle de son époque. La bataille, gagnée à la Pyrrhus, est la première étape d’une longue lutte pour un compromis scénique sans compromission idéologique. Ce format dramatique, cette formule dramaturgique d’un théâtre historique romantique s’accomplit mais s’achève aussi, en 1838, avec Ruy Blas et l’expérience avortée du Théâtre de la Renaissance. Les Burgraves, en 1843, à l’inverse de l’opinion reçue, ne scellent pas la fin de l’aventure du drame romantique, mais ouvrent plutôt des perspectives qu’explorera ensuite, en exil, le bien nommé Théâtre en liberté. Les deux pièces ont évidemment une affinité thématique : elles explorent l’histoire espagnole, de même qu’Amy Robsart et Marie Tudor s’appuient sur des données de l’histoire anglaise ; que les pièces italiennes, Lucrèce Borgia et Angelo, tyran de Padoue, peignent « tout un siècle, tout un climat, toute une civilisation, tout un peuple » ; et enfin que Marion de Lorme et Le Roi s’amuse dressent un tableau sans complaisance de l’histoire de France. Mais cette « bilogie » espagnole est la plus achevée et la plus consciente de toutes. Ruy Blas accomplit ainsi un projet que Hugo avait envisagé dès l’écriture d’Hernani, faire le tableau du Siècle d’or espagnol comme il l’annonce dans la grande préface de Ruy Blas : « entre Hernani et Ruy Blas, deux siècles de l’Espagne sont encadrés ; deux grands siècles, pendant lesquels il a été donné à la descendance de Charles Quint de dominer le monde ». Cette réflexion historique accompagne donc une aventure dramatique, celle du drame romantique hugolien théorisée par la fameuse Préface de Cromwell, entre le « rayonnement d’une aurore » avec Hernani et « les ténèbres d’un crépuscule » avec Ruy Blas. Mais l’Espagne, c’est aussi l’enfance et, au cours du voyage avec son frère et sa mère, la découverte et la naissance d’une passion pour le théâtre avec Les Ruines de Babylone de Pixérécourt, à Bayonne en 1811. Cet ouvrage présente les grandes problématiques et les thématiques majeures qui irriguent les deux œuvres. Il s’agit d’abord de comprendre les enjeux qui déterminent l’innovation hugolienne et la quête opiniâtre de Hugo à trouver « le lieu et la formule » du drame romantique. Celui-ci se développe grâce à une « dramaturgie » qui privilégie la situation sur l’intrigue, la pragmatique sur la rhétorique ; qui utilise ensuite toutes les ressources dramatiques et dramaturgiques de l’espace pour en faire non seulement un outil pertinent de l’action, mais également un actant déterminant de celle-ci ; qui enfin dialectise les valeurs romanesques et tragiques de la temporalité dramatique. La dramaturgie hugolienne est donc déjà une « poétique » qui, loin du statisme des caractères classiques, organise les personnages en un système dont le dynamisme est créateur de structures dramatiques et de configurations idéologiques. Enfin, le drame hugolien, c’est aussi une « esthétique » originale qui questionne le statut de la parole en la confrontant à l’exigence du sublime et à la réalité du grotesque ; qui, dans et par la représentation, élève et enlève la terreur vers le sublime.

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